Avant d’ouvrir le dimanche ou le soir, les bibliothèques devraient déjà pouvoir fonctionner normalement en semaine.
Les bibliothèques municipales de France et de Navarre ne sont pas au mieux : sous-effectif, organisation du travail, action culturelle, politique documentaire, conditions matérielles… c’est par ces maux que les bibliothécaires décrivent leur quotidien sans être entendus par les élus et leur administration. Une crise existentielle partagée visiblement par toute la profession quelque soit la taille ou la couleur politique de leur commune d'exercice. On ne compte plus les fermetures de petites bibliothèques ou celle contrainte de réduire leurs horaires d’ouverture faute de moyens. Une véritable vague de contestation est à l'oeuvre dans les bibliothèques à Angers, Bordeaux, Lyon, Nantes ou Rennes, sans même parler de l’état du réseau parisien.
Les bibliothèques universitaires ne s’en portent pas mieux et la Bibliothèque Nationale de France est victime depuis plusieurs années d’une marchandisation qui se fait au détriment des collections et des services.
C’est dans ce contexte qu’est lancé un appel d’intellectuels germanopratins pour ouvrir les bibliothèques le dimanche, le soir et même la nuit. « Les horaires des bibliothèques en France sont insuffisants et inadaptés » clament les signataires. Vu l’état dans lequel les politiques publiques ont plombé les bibliothèques, on ne peut qu’être d’accord ! Dommage que nos élites intellectuelles ne se soient pas mobilisées plus tôt et ne prennent le problème que par le petit bout de la lorgnette des perpétuelles comparaisons avec les autres pays !
Les initiateurs de cet appel ne disent pas concrètement comment faire pour arriver à ouvrir « sept jours sur sept, 20 heures sur 24, voire 24 heures sur 24 » et leurs propositions se limitent seulement au « décalage des horaires d’ouverture » ce qui veut dire concrètement que l’on réduirait les horaires du matin notamment pour favoriser ceux du soir ? Une équation pas encore résolue visiblement par les auteurs d' Ouvrons + les bibliothèques.
Bruno Julliard, adjoint au maire de Paris chargé de la Culture, applaudit lui des deux mains : « Paris doit rattraper son retard en matière de bibliothèques et s'adapter aux attentes et au rythme des habitants » déclare-t-il à l’AFP pendant que lui-même réduit les horaires d’ouverture des bibliothèques municipales parisiennes.
« J'y suis favorable » renchérit pour sa part la ministre de la culture, Aurélie Filipetti, « mais dans des bonnes conditions sociales. Nos élus pointent toutefois « la difficulté des négociations avec les personnels ». Et on pourrait ajouter : la difficulté des négociations avec les Ressources Humaines et les Finances puisqu’en cette période de contraintes budgétaires et de réduction du nombre de fonctionnaires, la logique est plutôt aux économies !
Bruno Julliard et Aurélie Filipetti applaudissent l'initiative
- Reste plus qu'à négocier avec les Finances !
Il est vrai qu’une des autres propositions précise le recours « à des emplois étudiants et temporaires ». Faire appel à du personnel précaire et pas très bien payé voilà donc l’horizon indépassable des signataires que l’on croyait pourtant progressistes. En outre, qui dit personnel temporaire, dit non formé, non formé à l’accueil, non formé au métier, non formé au bâtiment, non formé à la sécurité. En clair, une ouverture au rabais qui reviendrait à proposer un service dégradé, au mieux un simple espace de travail. Où est le projet culturel dans cette proposition ?
En outre, et pour aller dans le sens de Bibliothèques Sans Frontières à l’initiative du projet, si l’on veut réellement élargir le public des bibliothèques, toucher des populations qui ne fréquentent pas ces établissements, leur apporter culture, loisir, éducation, services numériques etc… Il faudrait également se pencher sur la question épineuse des tarifs, souvent dissuasifs, du maillage local, insuffisant, des initiatives numériques, très en retard, ou des besoins en médiation, rarement prises en compte.
Avant d’applaudir à des propositions pour le moins démagogiques et quand on connait l’état actuel des bibliothèques, nos élites politiques devraient plutôt assurer les budgets nécessaires (acquisition, moyens bureautiques, effectifs) pour permettre le fonctionnement correct au quotidien dans le respect des personnels et des usagers.
Alors avant d’ouvrir le dimanche ou en soirée, les bibliothèques doivent d’abord pouvoir fonctionner normalement tout les jours de la semaine.
Ouvrons mieux pour ouvrir plus, en développant l’action vers les publics, y compris hors-les-murs, via internet ou par des services de qualité et réellement adaptés à une politique de lecture publique au service du plus grand nombre.
Bibliothèques: y a pas que les horaires qui vont mal !
- Plutôt que d'ouvrir plus tard, il faut ouvrir mieux !
Pour signez cet appel, écrire à socialnecmergitur@yahoo.fr ou aller directement sur la pétition mise en ligne .
Premiers signataires (par ordre alphabétique) : Sylvie Bernard (Bibliothèques Ville de Paris), Jean-François Besançon (FSU-BnF), Agathe Boudoux d’Hautefeuille (Bibliothèques Ville de Paris), Anne Charmasson-Creus (Conservatrice, Bibliothèques municipales de Lyon), Stéphanie Coiffé (Bibliothèques Ville de Paris), Nicole Coignat (Bibliothèques Ville de Paris), Loïc Dazugan (CGT Banque de France), Daniel Delmas (Bibliotécaire, Paris) Luc Desgeorges (Usager des bibliothèques, Paris), Agnès Dutrevis (Bibliothèques Ville de Paris), Abdellah Faidi (Usager des bibliothèques, Paris), Emmanuelle Flouquet (Bibliothécaire jeunesse Vitry sur Seine), Henri Fourtine (bibliothèque SCD Paris 8), Sylvie Guinchard (Bibliothécaire, Besançon), Didier Hamon (Bibliothèques Ville de Paris), Bernard Hasquenoph (Créateur du site Louvre Pour Tous), Sandrine Haon (Bibliothèques Ville de Paris), Raymond Joannesse (Conseiller Municipal ville de Reims, Vice Président Région Champagne Ardenne), Laurence Lacaze (Médithèque d'Arpajon), Catherine Levy (Sociologue CNRS, Paris), Marie-Thérèse Lumineau-Viot (Usagère des bibliothèques, Nantes), Chantal Raymond (CGT, Bibliothèques Ville de Nantes), Emmanuelle Sinzot (Bibliothécaire, Reims), Stéphane Thuault (Technicien de bibliothèque Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle, SNASUB-FSU), Dominique Tosi (CGT, Bibliothèques Ville de Nantes), Florence Throniou (Bibliothèques Agglomération de Grenoble), Frédéric Weisz (FSU-BnF), Bertrand Pieri (Bibliothèques Ville de Paris), Nicolas Sautel-Caillé (Bibliothécaire, Colomiers), Section SUD culture, Bibliothèque Nationale de France
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