Blog d'informations culturelles et sociales à la Ville de Paris
22 Novembre 2012
Après Paris, un bibliothécaire de Bretagne critique à son tour l’usage de la RFID !
En 2008, un système qui utilise des puces émettant des radiofréquences, la RFID, était installé dans trois bibliothèques parisiennes. Un article : « La RFID, une mauvaise idée pour Paris » avait alors mis en garde contre l’installation aveugle de cette technologie, aussi bien en terme de fonctionnalités, d’efficacité budgétaire, des éventuels effets sur la santé ou de son impact en matière d’environnement. Trois ans après, un retour d'expérience à la médiathèque Marguerite Yourcenar (XVé) avait aboutit au texte La RFID dans les bibliothèques à Paris : Quel bilan pour quelles idées ? Un texte assez critique sur l'usage de la RFID.
Aujourd’hui nous publions l’article d’un bibliothécaire d’une commune bretonne de dix mille habitants qui expérimente la technologie RFID depuis quatre ans. Un bilan qui n’est pas sans rappeler les critiques faites à Paris. Alors la RFID une mauvaise idée pour Paris mais aussi pour le reste du territoire ? Pour en juger, voici le texte intégral.
RFID & Médiathèque : Bilan à l'usage des élus et des professionnels du livre
« La RFID est en passe de devenir un sujet majeur en matière de santé/environnement. L’avis de l’AFSSET confirme notre position : en présence d’une nouvelle technologie comme la RFID, il vaut mieux prévenir que guérir ! Le rapport de l’AFSSET met en évidence la nécessité d’expertise et de recherches sur les risques sanitaires, environnementaux et éthiques liés à la RFID. » José Cambou, président de France Nature Environnement.
Ce bilan est le produit d'une expérience vécue entre 2007 et 2012 dans une bibliothèque qui propose 23 000 documents dans une ville de 10 000 habitants, avec 5 ETP (Equivalent Temps plein). Il y a quelques années notre structure est devenue médiathèque et les élus municipaux avaient fait le choix dès 2007 de passer à la RFID pour son agrandissement.
Au départ, parmi les agents, personne n'était ni pour ni contre cette technologie. Un peu dubitatifs sur l'intérêt réel, nous pensions que le résultat ne pouvait être que positif compte tenu de l'argent dépensé et sachant que les grandes bibliothèques de la région s'équipaient avec ce dispositif. En outre, les différents représentants commerciaux nous avaient convaincu que cette technologie était réellement avantageuse : gain de temps à la banque de prêt et lors du récolement.
Après plusieurs années de dysfonctionnement et de résultats peu probants, nous avons voulu reposer la question de la pertinence de ce dispositif au sein de l'équipement. A la base, nos interrogations étaient seulement professionnelles, mais nous avons constaté que la technologie RFID posait aussi des questions d'ordre sanitaire, éthique et écologique. Ces aspects méritent, selon nous, d’être portés à la connaissance des professionnels des bibliothèques et des élus politiques. C’est l’objet de ce bilan.
1 - Qu'est-ce que la radio-identification ? Pour commencer, définissons le sujet qui nous occupe. La radio-identification plus souvent désignée par le sigle RFID (de l’anglais Radio Frequency IDentification) est une méthode pour mémoriser et récupérer des données à distance en utilisant des marqueurs appelés « radio-étiquettes » (« RFID tag » ou « RFID transponder » en anglais). Les radio-étiquettes sont de petits objets, tels que des étiquettes autoadhésives, qui peuvent être collés ou incorporés dans des objets ou produits et même implantés dans des organismes vivants (animaux, corps humain). Les radio-étiquettes comprennent une antenne associée à une puce électronique qui leur permet de recevoir et de répondre aux requêtes radio émises depuis l’émetteur-récepteur. Ces puces électroniques contiennent un identifiant et éventuellement des données complémentaires.
Cette technologie d’identification peut être utilisée pour identifier : les objets, comme avec un code à barres (on parle alors d’étiquette électronique) ; les personnes, en étant intégrée dans les passeports, carte de transport, carte de paiement (on parle alors de carte sans contact) ; les carnivores domestiques (chats, chiens et furets) dont l'identification RFID est obligatoire dans de nombreux pays, en étant implantée sous la peau. C'est également le cas de manière non obligatoire pour d'autres animaux de compagnie ou d'élevage (on parle alors de puce sous-cutanée).
2 - Aspects techniques Maintenant que la définition générale a été posée, voyons ce qu'il en est plus particulièrement des bibliothèques. En ce qui nous concerne, nous avons rencontré plusieurs représentants commerciaux à l'occasion du marché public qui nous ont tous présenté la RFID sous le seul angle positif. Leur discours est très bien rôdé et ils savent raconter aux bibliothécaires ce que ces derniers souhaitent entendre. Après plusieurs années d'utilisation, nous avons constaté un écart entre les arguments de vente et la pratique réelle. Voici la liste de ces écarts.
A) L'argument du gain de temps. A la banque de prêts : la plaque est censée lire une pile de documents assez importante (les démonstrations ont été faites avec des piles de six à dix documents), ce qui lui confère un avantage sérieux par rapport au code-barres.
Dans la pratique, il existe de nombreuses exceptions empêchant une lecture simple et fluide d'une pile de plusieurs documents : les coffrets CD et DVD contenant plusieurs documents ; les boîtiers métalliques ; les erreurs de lecture ; les messages associés au document (abîmé ou réservé par exemple) ou au lecteur (en retard ou ayant oublié ses lunettes lors de sa dernière visite) bloquent la lecture de la pile sur un document et oblige à le rechercher pour traiter le message.
Pour une lecture simple et fluide, nous passons deux à trois documents maximum à la fois, ce qui ne représente plus vraiment un avantage déterminant. En outre, si le code-barres n'est plus à cibler avec la douchette, il faut quand même manipuler cette dernière pour lire le code-barres sur la carte du lecteur.
Lors de la manipulation des coffrets multimédia. La RFID n'empêche pas l'ouverture pour vérification des coffrets de CD et DVD. Comme les puces coûtent chères, de nombreuses médiathèques placent des leurres (un autocollant sans puce) pour faire croire que tous les documents sont protégés. Il faut donc s'assurer de la présence du CD ou DVD non équipé dans le coffret. De plus, le personnel ne connaissant pas par cœur les coffrets contenant 2 ou 3 disques, tous doivent être ouverts.
Lors du récolement : durant l'opération un lecteur portable est censé lire toutes les puces d'un simple balayage de l'étagère. Dans la pratique, il faut retirer chaque document de l'étagère et le scanner avec le lecteur portable.
Les « oublis » : la RFID oblige à des opérations chronophages que les vendeurs omettent de préciser lors de la présentation. C'est le cas avec les puces RFID implantées sur les magazines. Celles-ci ont une durée d'utilité réduite : la plupart des magazines deviennent obsolètes rapidement, les bibliothèques municipales n'ont pas de vocation archivistique et la place dans les casiers est limitée. Deux solutions existent alors, soit les puces sont récupérées sur les magazines pour être réutilisées, mais cela prend du temps (compter 1h pour une centaine de magazines) ; soit elles sont brûlées avec le périodique (qui ne peut plus partir au tri papier des déchets).
Autre perte de temps cachée, le traitement des informations courantes dû à l'utilisation de l'automate. Une partie des opérations qui se faisaient au contact du lecteur doit se faire « en interne ». C'est le cas par exemple lorsqu'un document est abîmé et retourné avec l'automate, le personnel ne pouvant pas s'en rendre compte lors du retour doit prévenir l'abonné ultérieurement.
B) L'évolution « naturelle » des choses. La technologie RFID est souvent présentée comme un outil qui vient « naturellement » remplacer le vieux code-barres. L'argument est d'autant plus efficace que nous sommes habitués à concevoir les transformations technologiques de cette manière.
Or, il apparaît peu probable de supprimer complètement douchettes et codes-barres dans les petites et moyennes bibliothèques Il existera toujours un besoin ou une difficulté qui fera des douchettes une nécessité.
C'est le cas notamment avec les livres du club de lecture prêtés par des membres du club pour quelques semaines : la puce étant impossible à enlever sans abîmer le livre, on utilise le code-barres commercial. Il existe d'autres exemples : une bibliothèque annexe qui n'est pas équipée avec la RFID, mais dont les livres circulent dans la médiathèque tête de réseau ; des livres prêtés par la bibliothèque départementale ; la douchette pour lire les cartes de lecteur qui ne fonctionnent pas avec la RFID ; les quotidiens qui demanderaient trop de temps à gérer avec des puces, etc.
Conclusion : la RFID, dans les petites et moyennes médiathèques ne peut pas remplacer complètement le système des codes-barre
Même avec la RFID vous n'échapperez pas au code-barre
C) L'argument d'une meilleure répartition du personnel. Un des arguments clef des promoteurs de la RFID est le redéploiement du personnel vers des tâches moins répétitives comme le renseignement au public. Il s'agit là de l'argument massue visant à flatter les professionnels préférant se percevoir comme des phares face à une production culturelle pléthorique, plutôt que comme des caissiers de supermarché (ce qui est fort légitime).
Seulement, la plupart des structures répartissent déjà le nombre d'agents en fonction des pics de fréquentation. L'automate de prêt ne dégagera pas un agent sur un créneau mais allégera la fréquentation à la banque de prêt. S'il faut un agent pour le prêt de 10h00 à 12h00, il en faudra toujours un avec un automate de prêt, mais celui-ci verra moins de lecteurs. L'agent affecté à la banque de prêt sera plus disponible pour ceux qui viennent le voir, mais il ne faut pas croire que de nouveaux créneaux seront ouverts pour le travail en interne (sauf à supposer une organisation préalablement chaotique).
Et si l'on pousse la logique de l'automatisation jusqu'à son paroxysme, l'automate de prêt peut même constituer une rupture avec le public, car ce dernier n'est plus tenu de passer devant le personnel. La banque de prêt avec un bibliothécaire est un moyen facile et naturel de provoquer des liens, des questions, des discussions... ce qui enrichira d'autant plus le fonctionnement et les acquisitions futures grâce à une meilleure connaissance des publics.
D) L'argument de la sécurité. La RFID à la différence du code-barres permet de mettre en place un système antivol. Cependant, si le portique antivol se justifie peut-être dans les grandes structures, ce n'est pas le cas dans les établissements plus modestes et cela pour deux raisons.
- L'aspect humain des petites structures : les utilisateurs sont connus et reconnus et ne peuvent profiter des lieux « anonymement ». Se faire attraper pour vol serait donc synonyme de « honte » empêchant de revenir sereinement dans le lieu.
- Le coût du portique étant élevé (il faut compter plusieurs milliers d'euros), il faudrait se faire voler un grand nombre d'ouvrages pour que ce coût soit amorti. Et si cela devait arriver au bout de plusieurs années, on s'entendra dire qu'il faut remplacer le vieux portique par un nouveau modèle plus puissant, encore plus sûr...
E) La compatibilité technique ? Dans la médiathèque où nous travaillons, la plaque permettant d’effectuer les transactions retour à la banque de prêt ne fonctionne pas, à la différence de la plaque pour les transactions de prêts.
Concrètement, notre SIGB est opérationnel avec du matériel qui n'est pas celui proposé par le vendeur de notre solution RFID, mais par un de ses concurrents. Les deux entreprises (SIGB et RFID) se renvoient la responsabilité de cette défaillance depuis trois ans. En attendant, c'est la médiathèque qui est amputée de sa plaque retour depuis l'ouverture de la nouvelle structure.
Nous n'avons aujourd'hui aucune visibilité sur une réparation éventuelle malgré les nombreuses demandes du responsable de la structure. Comme personne n'est en mesure de nous fournir des explications claires, on peut penser que de telles difficultés peuvent survenir demain dans n'importe quelle bibliothèque.
3 - Des questions sociétales. L’utilisation d’une nouvelle technologie n’EST pas seulement qu’une question de technique. Les conséquences sanitaires, éthiques ou environnementales ne peuvent êtres évacuées.
A) Aspects sanitaires. Il n’existe pas de preuve de la dangerosité de la technologie RFID, de même qu’il n’existe pas de preuve de son innocuité. « En l’état actuel des connaissances, aucun risque sanitaire lié aux systèmes d'identification par radiofréquences (RFID) n’a pu être identifié, toutefois les ondes électromagnétiques sont classées « cancérigènes possibles » (catégorie 2B) par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).
Très peu d’études ont été conduites sur les impacts du RFID sur la santé, aussi l’Afsset, dans un rapport d’expertise publié lundi 2 février 2009, recommande des mesures de prévention pour les travailleurs, et préconise la poursuite de la veille scientifique sur les effets biologiques des rayonnements des RFID »
Les plaques RFID (lecteur de puce) génèrent des ondes. Dans le cas des banques de prêt en médiathèque, elles sont situées à quelques dizaines de centimètres des parties génitales des agents Le cas d'une exposition rapprochée est abordée par l'Afsset. L'agence « explique que du fait des faibles distances entre un utilisateur et la technologie, son exposition répétitive en milieu professionnel peut être « non-négligeable ». Une position prudente mais qui a le mérite de noter que les valeurs limites d’exposition n'ont pas été revues depuis 1998 »
Précisons également que les personnes sensibles aux ondes (sensibilité électromagnétique) seront impactées par le développement des ondes RFID Si cette pathologie est difficile à apprécier, on ne peut exclure des désagréments pour certains lecteurs.
N’est-il pas paradoxal de faire des efforts pour permettre une meilleure accessibilité des personnes à mobilité réduite ou malvoyantes à la médiathèque et d’installer des dispositifs contraignant pour les personnes électro-sensibles ?
B) Aspects éthiques. De nombreuses associations alertent l’opinion publique depuis plusieurs années sur les menaces que fait peser la RFID sur le respect de la vie privée.
La CNIL dans son rapport annuel du 16 mai 2008 s'inquiète des risques de traçabilité des individus qui n'ont pas accès à leurs données : « le maillage dense de milliers d’objets qui entoureront une personne pourra ainsi être analysé, de façon permanente (le potentiel de rayonnement d’un RFID est illimité dans le temps car aucune batterie n’est nécessaire), permettant potentiellement le « profilage » des individus, elles font peser sur les individus un risque particulier »
C) Aspects environnementaux . D'où viennent les puces ? « Le chiffre d’affaire du marché affiche cette année une progression à deux chiffres, avec un quasi monopole de production en Chine ». L’empreinte carbone de cette technologie est lourde puisqu’elle arrive de l’autre bout du monde. A cela il faut ajouter la provenance de ses matériaux de fabrication.
Comment sont fabriquées les puces ? Sont-elles recyclées ? « Fabriquée à partir de silicium, d’argent, de plastique et de cuivre, la puce RFID n’est pas la meilleure candidate au recyclage. De nature à être jetée si elle est utilisée dans la supply chain [gestion de la chaîne logistique] (40% du marché), cette puce n’est soumise à aucun dispositif de recyclage. Or, cette problématique est littéralement passée sous silence. Par exemple, L’AFSSET (Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement), qui a publié en janvier 2009 un rapport de 159 pages sur la RFID, n’y consacre même pas une ligne ! »
Quel impact sur l'environnement ? De part sa production en masse (millier de milliards), l'absence de dispositif de recyclage et sa taille pouvant être extrêmement réduite, la dissémination massive dans la nature paraît envisageable. Les puces non disséminées sont brûlées, ce qui n'est pas sans générer des pollutions atmosphériques non négligeable.
4 - L’intérêt global. Tout à la fois marginale et centrale, la RFID est révélatrice des problématiques de notre époque. La RFID peut séduire car elle incarne dans l’inconscient collectif la « magie » technologique. D’un autre côté, sachant que cette technologie ne permet pas d'amélioration globale du service à la population, c’est peut-être le respect de l’environnement qui devrait primer sur ces considérations fantasmatiques.
L’équipe de techniciens que nous sommes ne nie pas l’intérêt pratique de la technologie RFID dans certaines structures, mais nous disons que cet équipement est définitivement inadapté aux petites et moyennes structures. Il est illusoire d'imaginer une technologie applicable partout, en tout lieu et à tout le monde.
Parce que le possible n’implique en rien le souhaitable, nous voulions partager notre expérience avec vous. S'il revient à chaque médiathèque de décider d'installer le dispositif RFID ou pas, nous avons constaté un réel manque d'information critique à ce sujet, la production du discours ne revenant quasiment exclusivement qu'aux industriels. Nous espérons que ces quelques pages apporteront des éléments utiles pour nourrir un débat nécessaire.
Voir aussi les annexes dans la rubrique "commentaires"
Pour prendre contact avec l'auteur: jean-petit@Safe-mail.net
RFID: Des questions sanitaires, éthiques et écologiques
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