Slate.fr : Le 2 juillet 2013
Oubliez Paris la ville-musée, la capitale sera une open-space city !
« Oubliez Paris la ville-musée. La capitale sera une open-space city agrémentée de circulations douces et d'espaces végétalisés et connectés, le vivre-ensemble en cadeau. Voilà l'avant-programme « soft socialiste » d’Anne Hidalgo, la candidate PS aux municipales ». C’est l’introduction de l’excellent (et très drôle) article signé Jean-Laurent Cassely publié sur le site Slate.fr. Il nous prédit une ville transformée en gigantesque open-space, une métropole-innovante-engagée-vers-les-défis-du-futur où le Soso (le soft socialisme) remplacera le Bobo. Morceaux choisis:
Avant d’être une doctrine, l’hidalgisme est d’abord un style et une certaine idée du plaisir collectif. Lors de son premier meeting de campagne, le 28 mai au Bataclan, la candidate municipale à Paris et ses soutiens ont à nouveau aligné les concepts d'intelligence collective, plateforme web, ville durable, followeurs, rencontres citoyennes, créativité collective, urbanisme joyeux, concertation, mobilité heureuse, etc.
« La ville 3.0 », « Inventer la gouvernance », « Retrouver du sens »: le livre-programme d’Anne Hidalgo, Mon combat pour Paris, est lui aussi truffé de ces phrases passe-partout et de ces slogans qui font le miel des présentations d’urbanisme sur des maquettes 3D, et dont raffole tout décideur politique en campagne.
Si tout ce jargon masquait une absence de projet, on pourrait à la limite s’en contenter. Or Anne Hidalgo rêve de transformer Paris en open-space city, le modèle urbain qu’elle a contribué à mettre en place comme première adjointe du maire sortant.
Anne Hidalgo rêve de transformer Paris en open-space city
" Du moment que l'on retrouve du sens ! "
Partout, de jeunes entrepreneurs créatifs, mobiles et innovants portant baskets manipuleront de l'information, créeront de la valeur immatérielle et symbolique à coup de start-ups, d’espaces de co-working écoresponsables, d’intégration de la science, de la technologie et des métiers de la création.
Ils n’auront pas d’employés mais plutôt des « talents » travaillant en mode projet, eux-mêmes créatifs, mobiles et innovants, déjeunant dans des food trucks et allant au boulot en trotinette ou en Vélib (on nous promet un triplement des pistes cyclables ainsi que des Vélib électriques pour la mandature 2014-2020: le véritable chaînon manquant entre Vélib et Autolib dans le plan de « circulations douces» de la ville).
Le Paris de demain d’Anne Hidalgo ne sera donc ni la ville-musée, ni la ville patrimoniale, mais bien une métropole-innovante-engagée-vers-les-défis-du-futur. Aujourd’hui, les responsables politiques sont acquis, au PS comme à l’UMP, au modèle métropolitain selon lequel la croissance ne pourra se développer sans l’intégration toujours plus intense de l’activité des grandes villes à l’économie globalisée
Le futur possible de Paris que dresse la candidate dans son livre, dans ses discours ou simplement par sa proximité avec de tels univers, est à vrai dire le parfait décalque du courant culturel des villes créatives développé par Richard Florida au début des années 2000 avec la notion de classe créative. Pour le chercheur chouchou des liberals branchés américains buveurs de late comme pour Hidalgo, « la nouvelle économie [parisienne en l’occurrence] naît de la rencontre entre artistes, chercheurs et entrepreneurs innovants et audacieux.»
Une vaste entreprise de « glamourisation » des villes est donc à l’œuvre un peu partout sur la planète pour s’attirer ces cerveaux à haut potentiel, puisqu’un environnement « cool et funky » est nécessaire pour séduire et retenir les investisseurs et travailleurs de cette économie de connaissance et d'innovation.
Paris, une métropole innovante engagée vers les défis du futur
Et y aura même une machine qui fournira du Soso !
Cette convergence entre économie « propre » (dans la mesure où les externalités négatives – transport, logistique, datacenter, etc.– sont repoussées loin de Paris) et projet de gauche municipale tombe plutôt bien, puisqu’un tel écosystème postindustriel, centré sur les activités du tertiaire supérieur, de culture et de recherche est particulièrement favorable à la gauche en général et au PS en particulier. Ebauché par les essayistes John B. Judis et Ruy Teixeira au début des années 2000, le concept d'ideopolis, traduit en français par idéopôle, désigne « les métropoles concentrant les activités et les groupes sociaux typiques de l’économie post-industrielle et de la mondialisation », comme l’écrivent les deux chercheurs français Fabien Escalona et Mathieu Vieira dans une note de la fondation Jean-Jaurès. La soft technology y est reine, et une forme de soft socialisme s’y love admirablement bien.
Dans cet environnement d'où l'idée même de conflictualité a disparu depuis longtemps, le responsable politique ne nous vend plus que du divertissement, de la qualité de vie et du vivre-ensemble. En témoignent, jusqu'à la caricature gênante, les propositions « likées » par la candidate lors de la remise des travaux de sa plateforme collaborative Oser Paris, dont le principe même nous rappelle les heures les plus sombres du ségolénisme interactif.
Il y était question de «speaker's corners», des lieux inspirés de Londres où chacun peut s'exprimer librement « bien sûr avec des règles de respect » (ouf) ou de « social clubs », qui d'après la description faite évoquent dangereusement un croisement entre un Starbucks et une néo-épicerie Chez Jean (« lieux intergénérationnels où chacun pourrait faire des rencontres, trouver des informations, un accès internet, lire la presse »). Sans oublier les « 24 heures du Périphérique » qui s'annoncent comme un gigantesque festival du vivre-ensemble entre Paris et sa banlieue.
Paris sera un croisement entre un starbuck et une néo épicerie
" Comme ça, je pourrais m'exprimer librement ! "
Les exemples récents de cette impulsion par la municipalité d’un écosystème favorable aux nouvelles classes aisées progressistes sont innombrables. Récemment, on pense évidemment à la rénovation du cinéma d’Arts et d’Essais le Louxor dans le quartier populaire de Barbès, avec sa programmation exigeante (sans pub et sans pop-corn) et une brasserie qui doit ouvrir en face, gérée par l’équipe la plus branchée de Paris (à l’origine du Mansart dans le SoPi —South of Pigalle— et de Chez Jeannette): une offre sur-mesure pour le gentrifieur.
Ah, j’oubliais, Anne Hidalgo a aussi prévu de nous mettre le wi-fi haut-débit sur tous les trottoirs de la ville. Elle est pas belle notre open-space city?
Lire l’intégrale de l’article de Jean-Laurent Cassely en cliquant là.
Pour Anne Hidalgo, Paris ne sera pas une Ville musée !
" Ouille ! "
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