Le Monde : le 21 mars 2016
Et seulement 10 % des établissements où la négociation est obligatoire signent des accords
En proposant de modifier les règles de licenciement et du temps de travail, le projet de loi El Khomri agite deux chiffons rouges qui attirent justement l'attention, mais au risque de faire oublier l'objectif affiché du projet. Selon Mme El Khomri, il s'agit de « permettre à nos entreprises de s'adapter face à la concurrence en donnant plus de pouvoir à la négociation collective pour répondre aux besoins du terrain. C'est par des accords signés par les syndicats dans l'entreprise que doit être donnée de la souplesse dans l'organisation et le temps de travail (…). C'est par le collectif que le salarié est mieux défendu et que des solutions novatrices peuvent être trouvées ».
Faire en sorte que salariés et employeurs puissent mieux négocier est un objectif louable. Cependant, le projet de loi ne propose pas d'améliorer l'organisation de la négociation au niveau de l'entreprise, mais plutôt d'en étendre le champ. Il passe ainsi largement à côté du problème majeur : aujourd'hui, on ne négocie que très rarement dans les entreprises où, pourtant, la loi prévoit déjà des dispositifs formels pour ce faire.
La législation française sépare les représentants du personnel ayant un rôle de consultation et ceux ayant vocation à négocier. Les représentants élus lors des élections professionnelles siègent au sein d'instances consultatives telles que le comité d'entreprise, la délégation du personnel ou le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ces instances peuvent parfois être fusionnées, elles peuvent comporter des représentants syndiqués et non syndiqués, et elles n'ont, sauf cas dérogatoires, pas vocation à négocier.
La négociation est en principe le monopole des délégués syndicaux (DS). Ceux-ci sont désignés par les syndicats représentatifs, ceux qui ont obtenu au moins 10 % des votes aux élections professionnelles. Les employeurs de tous les établissements d'entreprise de plus de dix salariés doivent négocier avec les délégués syndicaux au moins une fois par an lors des négociations annuelles obligatoires sur les salaires et les conditions de travail.
Premier problème : dans deux tiers de ces établissements, il n'y a pas de délégués syndicaux. C'est quasiment la règle dans les établissements de 10 à 20 salariés et dans la majorité des établissements de 50 à 100 salariés. Second problème : dans un établissement sur trois où il y a des délégués syndicaux, les négociations, bien qu'obligatoires, n'ont pas lieu. Les causes données par les employeurs sont l'application d'un accord de branche, une décision de la direction ou l'absence de demande des salariés. Troisième problème : lorsqu'il y a des négociations, elles n'aboutissent à un accord que dans deux cas sur trois. Mises bout à bout, ces statistiques impliquent que seuls 10 % des entreprises qui pourraient le faire signent des accords. On négocie en fait très peu dans les entreprises françaises.
- Par contre pour toi Manu, on aura toujours une petite place